L’impact d’Hadopi sur le P2P en France
La “loi” Hadopi aurait un impact assez efficace envers les utilisateurs lambdas qui utilisent le protocole P2P pour s’échanger des contenus non libres de droit. C’est en tout ce qu’affirme cette étude récente (Investigating the reaction of BitTorrent content publishers to antipiracy actions) menée par plusieurs chercheurs internationaux, dont des chercheurs de l’Institut-Mines Télécom – Télécom SudParis.
Comme l’indique cette étude :
En comparant avec les autres uploadeurs, ceux situés en dehors de nos frontières, nous avons remarqué que le nombre d’éditeurs mettant en ligne des contenus depuis l’hexagone avait diminué de 46 % entre une première période située en avril-mai 2010 et une seconde, en octobre-décembre 2011
En revanche le nombre total de contenus partagés depuis la France a augmenté de 18 %.
Si on regarde plus précisément, l’activité des uploaders occasionnels, qui partagent temporairement et avec des connexions à Internet de faible capacité aurait chuté de 57 % entre 2010 et 2011. A contrario, les “uploaders professionnels”, qui mettent en partage des contenus pour alimenter des sites de torrents, seraient devenus plus actifs encore qu’auparavant. Ainsi, 29 des 100 uploaders les plus actifs de The Pirate Bay seraient originaires de France si on en croit leur adresse IP.
L’engouement pour OVH
Mais pourquoi un tel engouement pour la France ? Parce que OVH, premier hébergeur européen est très attractif pour les uploaders professionnels. En effet, OVH propose des serveurs dédiés que beaucoup de professionnels utilisent comme seedbox (un serveur dédié à la réception et l’émission de fichiers).
Et là, l’étude se met un doigt dans l’oeil. Elle pointe le laxisme d’OVH vis-à-vis de l’utilisation du P2P sur ses serveurs.
Nous avons contacté OVH pour avoir quelques informations sur sa popularité parmi les éditeurs BitTorrent professionnels, et avons appris qu’OVH ne surveillait pas activement ses clients sauf si une violation est rapportée par un tiers et que le client ne cesse pas son activité. Une telle stratégie de surveillance passive est inhabituelle. Ces dernières années la plupart des hébergeurs ont adopté des politiques de surveillance strictes pour empêcher la distribution de contenus protégés par les droits d’auteur depuis leurs serveurs à travers des applications P2P.
Pourtant OVH respecte scrupuleusement la loi en ne surveillant pas l’usage que font ses clients des serveurs dédiés loués. En France, l’article 6.7 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique indique que les sociétés d’hébergement de données :
ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu’elles transmettent ou stockent, ni à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.
Une riposte graduée pour les hébergeurs ?
Mireille Imbert-Quaretta, présidente de la commission de protection des droits de l’Hadopi, ne semble pas être en accord avec ceci et propose la mise en place riposte graduée à l’encontre des hébergeurs dans des propositions d’amendement formulées au ministère de la Culture. Concrètement, il s’agirait d’obliger les hébergeurs à filtrer pro-activement ce qu’ils stockent, et à les mettre en garde en cas d’infractions. Puis s’ils refusent d’améliorer leurs technologies et pratiques de filtrage, l’autorité publique pourrait décider de rendre public le comportement de cette plateforme dans le cadre d’une procédure d’alerte, laquelle pourrait aller jusqu’à demander le blocage de noms de domaine ou serveurs.
Une absurdité sans nom.
La dangerosité d’une obligation de filtrage imposée aux hébergeurs
Si jamais une obligation de filtrage était imposée aux hébergeurs, ceci serait extrêmement dangereux. Avant d’être dangereux, ceci serait extrêmement difficile à mettre en place techniquement :
- OVH loue des centaines de milliers de serveurs dans le monde ;
- La loi ne pourrait s’appliquer qu’aux résidents français ;
- Comment déterminer qu’un contenu mis en ligne ou téléchargé est libre de droit automatiquement (c’est-à-dire grâce à un système informatique capable d’être efficace) ? Plusieurs millions de fichiers sont échangés sur les centaines de milliers de serveurs de l’infrastructure d’OVH au quotidien.
Et puis surtout ceci serait extrêmement dangereux. En demandant aux hébergeurs de filtrer le contenu qui est stocké sur les serveurs qu’ils louent, on leur donne des droits qui sont réservés à la justice. Un intermédiaire technique serait alors en droit (et en devoir d’après la loi) de déterminer, lui seul, quel fichier peut et ne peut pas être stocké sur ses serveurs. Ceci pourrait engendrer des dérives importantes voire catastrophiques :
- L’hébergeur incapable de proposer un système informatique pouvant déterminer automatiquement si un fichier est libre de droit ou non interdit à ses clients de modifier des fichiers en dehors des heures de bureau, entre 8h et 18h. Tout nouvel envoi de fichier vers un serveur devra être validé humainement, ce qui peut prendre plusieurs heures voir plusieurs jours.
- Votre hébergeur ne partage pas les mêmes convictions politiques que vous et décide de censurer ou d’altérer le contenu de l’article politique faisant controverse que vous avez rédigé et que vous voulez mettre en ligne.
- Votre hébergeur ayant l’obligation de prêter attention à ce que vous faites sur votre serveur s’aperçoit que vous développez un outil qui pourrait être très utile pour son fonctionnement. Sans vous mettre au courant, il fait une copie de votre travail.
Imaginez que quelqu’un s’amuse à censurer, ou pire, à modifier les mots que vous formulez quand vous parlez à quelqu’un, face à face. Plutôt gênant non ? Et bien ceci pourrait être encore plus grave : votre droit de publier ce qui vous chante pourrait être remis en cause.
La neutralité technologique et la neutralité du réseau ne sont pas des fantaisies techniques. Ces principes sont fondamentaux pour la protection de nos droits.